samedi 7 décembre 2019

Quotidien

* pour prévenir avant la lecture de ce post...

Je ne suis pas là pour me plaindre, je suis juste assez (très ?) en colère par rapport à beaucoup de chose liée à mon métier (dont je continu régulièrement à chercher le sens, quoi qu'il arrive dans ma vie. Parce qu'il est loin d'être évident.), et aussi en colère quand j'entend les discours et images d'Epinal toutes faites sur les professions artistiques quelle qu'elle soit.

J'ai eu l'occasion d'en parler hier avec une actrice qui souffre un peu des mêmes clichés qu'on lui balance, riches de sous entendus en mode "t'as pas à te plaindre" alors qu'elle est totalement débordée, surmenée, et que toute la paperasse et les déplacements qu'elle doit faire ne lui laisse peut-être que 10% de temps consacré à "l'artistique" dans sa vie. ...et juste, parfois c'est un peu lourd.
Je pense que c'est ce qui me décide à blablater là dessus.

Je ne dis pas que nous sommes plus à plaindre que d'autre, simplement que personnellement, je ne me permettrai pas d'expliquer sa vie ni sa profession à une personne que je ne connais pas et dont je ne connais le métier que par une idée clichée sortie de je ne sais où. Et qu'avant de s'exprimer sur une question, il peut être de bon ton de se renseigner cinq minutes dessus avant d'affirmer tout et n'importe quoi et de cultiver l'envie et la jalousie pour des choses qui n'existent même pas, et c'est pourquoi je vous propose ce petit témoignage, un peu vénère et très personnel.

Sur ce, bonne lecture, si ça vous tente.


Je finis par être passablement agacée par les personnes qui se font des films sur vos vies, sans jamais prendre la peine de vous poser des questions, puis qui vous assènent des réalités (des fables qu'ils se sont comptés plus exactement) sur votre quotidien et vos rêves, comme si ils savaient tout ça bien mieux que vous et qu'ils étaient mieux placés pour en parler.

Bien souvent ce sont des gens que vous connaissez à peine, voir pas du tout, histoire que ce soit encore plus décalé, sinon c'est moins drôle.

La dernière en date : quelqu'un que je n'ai pas vu depuis le début de l'adolescence, et avec qui je n'ai jamais eu l'occasion de parler de ma vie, me demande de but en blanc, juste après m'avoir dit bonjour en me croisant dans la rue si je vis de mon métier (déjà...est-ce que moi je vous demande si vous faites beaucoup d'heures sup' pour arrondir vos fins de mois, ou est-ce que quand je rentre dans une boulangerie je demande comment tourne la boutique ?), et qui enchaine sur :

"Au moins tu fais ce que tu aimes".

...et là encore...c'est une supposition de sa part.
D'un dessinateur à l'autre, même en faisant le même travail, nous n'avons pas le même quotidien, pas la même façon de travailler, pas les mêmes projets, pas la même manière de voir notre boulot ou le monde de l'édition, pas le même rapport à l'isolement qu'engendre ce métier, et pas les même payes non plus.
Donc que quelqu'un parte d'emblée du principe que "je fais ce que j'aime", quand je revois mon dernier post sur ce blog, pour me rappeler que c'était fin Juillet et que c'était ça :


...ça me fait un peu rire jaune.

Il n'y a d'ailleurs pas eu de suite depuis ce post parce que (tiens donc), j'avais vu juste et que le burn out m'est vraiment tombé dessus, où j'ai eu la très sincère sensation de venir de gâcher dix ans de ma vie à m'acharner dans une voie pour récolter beaucoup de choses très dures au final, et vraiment peu de satisfaction quelle qu'elle soit, et avec un bonne dépression des familles pour accompagner ça, dont j'ai bien cru que je ne sortirai pas.

...c'est le post de la transparence aujourd'hui...
Et tout ça sans m'attarder les ruptures de contrats injustifiées sans dédommagements après trois mois de travail à temps pleins à s'épuiser sur un projet (et puis "oh, oups, y a pas eu de contrat parce qu'on me le faisait miroiter comme une carotte tout en m'imposant des dates butoirs toujours plus courtes. Mince alors"),
. sur l'absence de droit au chômage dans cette profession,
. sur mon déménagement en urgence parce que mes payes prévues sur deux ans venaient de partir en fumées et que je n'allais plus pouvoir payer mon loyer (à savoir des contrats de 4 000 euros pour un projet sur deux ans...pour vivre pendant deux ans (non, ce n'est PAS une façon de parler), en taffant 60 à 80 heures par semaine dans l'isolement le plus total,
sur l'absence de droit au préavis réduit pour quitter mon logement en tant que personne qui vient de se faire virer du jour au lendemain, parce que "votre métier ne peut pas justifier que vous avez perdu votre emploi" malgré toutes les preuves apportées de la situation pour le moins compliquée.
. sur le fait que je n'ai pas de couverture santé et que je ne touche que sur ce que je produit (donc épaule abimée qui m'oblige à faire plus de pause qu'avant et opération chirurgicale avec un à deux mois de convalescence, c'est à moi de trouver une solution (ou pas), toute seule comme une grande).

...oui, quand je dis que j'ai passé un Eté merdique, je ne pense pas que ce soit exagéré


Au delà de ça, si certains veulent vraiment en savoir plus sur un quotidien d'auteur (le mien présentement, sachant une fois de plus qu'il y a autant de personne que de parcours), plutôt que de fantasmer des choses jusqu'à ce persuader que c'est comme ça et pas autrement,
à l'heure actuelle, mon quotidien professionnel consiste essentiellement à passer des appels, à envoyer des emails, à faire des devis qui pour 90% d'entre eux n'aboutiront pas parce qu'on se rend compte que les personnes qui les demandent n'ont en fait jamais eu l'intention de donner suite,
et, de temps en temps, de chercher de la documentation pour des planches ou des illustrations (pas toujours aussi intéressants que ce qu'on peut s'imaginer), de faire des redimensions et des ré-enregistrements d'images sur photoshop en vue de les envoyer par email et de les faire valider, et enfin, parfois, de prendre un peu un crayon pour dessiner des commandes (et parfois je reste des jours sans avoir l'occasion de toucher à un crayon).

Le temps qu'il me reste pour dessiner des choses pour moi, je ne sais pas vraiment où il se trouve, et je me suis rendue compte hier soir que ça faisait des années que je n'avais pas fait de peinture numérique… certainement pas par manque d'envie.

...donc bref à l'heure actuelle...à moins que j'ai oublié que mon rêve dans la vie c'était de faire du secrétariat en étant privée de vie sociale, en étant tellement seule, parfois pendant des semaines entière sans voir un autre être humain jusqu'à penser qu'on va devenir complétement barjot et à se sentir en dehors du monde (et qu'on ne vienne surtout pas me sortir une de ces phrases malsaines sortie d'une vidéo sectaire et/ou mal comprise de "il faut apprivoiser sa solitude et se sentir bien seul". Renseignez vous sur les réalités de l'isolement social à l'heure actuelle et sur ce que ça engendre, et revenez après), non, je ne fais pas plus "ce que j'aime" que Gustave qui va jouer au foot après le boulot ou le weekend avec ses potes, ou que Gustavine qui fait du scrapbooking dans le train en rentrant du taff.


Sur ce...ça pourrait être bien de parler avec les gens et d'essayer de les connaitre avant de les mettre dans des cases, bien rangées avec tous les clichés que vous pourriez trouver de près ou de loin...ou juste de vous en foutre et de ne pas vous exprimer sur des sujets que vous ne maitrisez pas, ça marche aussi.


Bonne et heureuse vie à tous, en vous souhaitant d'avoir une vraie et belle retraite digne de ce nom, et bon courage pour la grève et pour la perte de salaire. (oui, quitte à faire un post transparent, autant que ce soit clair aussi pour ceux qui m'ont sorti dernièrement leurs discours réac' en attendant que j'aille dans leur sens, je suis plus branchée extrème gauche que capitalisme à l'américaine).



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